Jean-Louis Mainguy : L’espace revisité - Septembre 2003
Jean-Louis Mainguy est français d’origine et
libanais de cœur… Né au Liban, il a vécu en France, mais
il est rentré au bercail, il y a près de 25 ans. Et depuis, il imagine,
crée et conçoit des intérieurs avec un goût et une
palette chaque fois renouvelés en poussant toujours plus loin dans la recherche
et le raffinement. C’est un esthète qui tente de composer avec ce
qui l’entoure sans pour autant en dénaturer l’essentiel. Il
nous a donné rendez-vous au cœur de la montagne, à Faqra plus
précisément, pour nous faire partager un chalet pas comme les autres
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Sortie tout droit de son imaginaire, cette résidence marque une nouvelle
conception de l’espace, dans lequel, l’élément de circulation
verticale, en l’occurrence l’escalier prend une place prépondérante.
Celui-ci s’élève et s’étale telle une architecture
« fantastique » et marque son territoire partout dans la maison. C’est
l’axe principal, autour duquel la vie intérieure gravite et prend
forme puisque chacun de ses paliers s’ouvre sur une nouvelle fonction :
salon, chambre à coucher, pièce à vivre ou salle à
manger, etc.
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Dès que le visiteur pénètre dans ce chalet, l’escalier
l’accueille et le dirige vers diverses destinations : il relie en effet
les 5 niveaux ou demi-niveaux de la résidence. Structurellement, chacune
des marches est composée de 5 pièces de bois superposées,
l’une un peu plus longue que l’autre. Ces marches forment un support
en porte-à-faux, c’est une structure autoportante. Jean-Louis Mainguy
ajoute : « Cet escalier est un élément structurel et sculptural,
il a un côté un peu « illogique » et « démesuré
» comme s’il sortait tout droit de l’imagination et du rêve
sans être passé par les filtres de la réflexion et du réel.
Après coup, une fois réalisé, j’ai remarqué
que cela ressemblait à l’univers onirique des œuvres de Maurits
Cornelis Escher. Mais sur le moment, je n’avais pas fait le rapprochement.
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Cet escalier, tout à la fois sublime et étrange (par son omniprésence
et ses proportions) donne un caractère exceptionnel et irréel à
cet intérieur. C’est une structure ascensionnelle qui prend l’aspect
d’une spirale sans fin. D’ailleurs, l’idée de départ
était de tenter de traduire dans l’espace la notion imaginaire d’ascension.
Pour accentuer le côté un peu « fantastique » de cet
intérieur, un des paliers intermédiaires débouche sur une
passerelle en bois qui relie le corps principal de l’habitation à
un coin feu insulaire. Cet élément horizontal fait contrepoids et
donne la complémentaire à la verticale de l’escalier qui évolue
sur les 5 niveaux grâce à ses fûts en spirale, surplombant
le triple volume des réceptions.
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L’autre aspect marquant de ce chalet est la présence à tous
les niveaux (sauf chambre de maître) des cheminées. Elles contribuent
à créer l’atmosphère conviviale chaleureuse que dégage
cette demeure. En fait, on a envie de se lover dans un canapé face à
l’une d’entre elles et d’oublier toutes ses fatigues : «
L’espace était très vide, je l’ai rempli par le feu
… La présence d’une cheminée crée un certain
parfum, essences de bois divers… Et puis une cheminée même
éteinte est un souhait, un souhait de feu, de chaleur, de confort voire
de réconfort. »
Le choix des meubles contribue aussi à l’esprit que dégagent
les lieux. Le style en est composite ; en fait, ils font « vieille campagne
», campagne qui n’aurait pas d’identité propre. Ils sont
aussi par certains aspects coloniaux (colonie des Indes). « Le parfum créé
par l’amalgame de ces meubles dénote une ambiance surannée
et une certaine vétusté (à ne pas comprendre dans le sens
péjoratif du terme), vétusté qui a été sciemment
provoquée pour appeler en nous les réactions de la « Madeleine
de Proust. » Le mobilier a été traité « à
la manière » des maisons de campagne, c’est-à-dire qu’il
est issu d’un terroir, d’une tradition, sans pour autant qu’il
n’en dévoile la véritable identité ou qu’il n’en
détermine l’origine. Ce mobilier garde alors sa fonction première
: l’utilité. Il est sans effets et sans fioritures, dépouillé
de ce côté baroque qui finit par en altérer l’essence
puisque l’essence même d’un meuble, est d’exister par
sa fonction avant d’exister par son esthétique »...
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Pour décorer ce chalet, Jean-Louis Mainguy a utilisé une palette
de couleurs rappelant la terre, allant du jaune terre de Sienne aux couleurs de
terres cuites, en passant par les terres d’ombres alliées la blondeur
du bois de cèdre. Ces teintes sont tempérées par la présence
de la pierre du pays : « J’ai voulu donner un aspect à la fois
très brut, naturel, et en même temps peaufiné par le temps
qui lui donne la valeur de l’authentique et la chaleur du vécu. Le
concept de départ était une palette de terre et de feu, puisqu’il
fallait réchauffer la demeure, vu les proportions hors normes des volumes
et de l’espace, d’autant qu’en hiver, le blanc de la neige qui
recouvre le paysage avoisinant devient la couleur dominante des lieux ; les matières,
vieux cuir et velours ainsi que le bois ont eux aussi contribué à
lier l’ensemble. »
Pour finir, l’ultime touche reste la collection de tableaux d’art
contemporain qui ornent les murs. « Ils produisent un effet anachronique
et contrastent avec l’esprit du mobilier meublant. Bien que cet anachronisme
soit déroutant de prime abord, on ne peut s’empêcher de lui
trouver le charme de l’étrange, ou encore celui des mariages d’amour.
» En complément de la collection des tableaux modernes, une collection
de suzanis du XIXème siècle (genre de tapisseries cousues en patchwork
que l’on trouve dans le nord de la Turquie et dans les régions du
Caucase).
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Mis à part les chambres, tous les autres espaces n’ont aucun rideau
qui ne vienne troubler la blancheur des murs, seules des vénitiennes en
bois pendues aux fenêtres temporisent les paysages de neige. "Ce chalet
a été décoré, il y a quelques années déjà.
Mais il fallait qu’il vive un certain temps avec l’habitant, qu’il
s’en imprègne, qu’il acquiert aussi une certaine patine, un
vécu, car il faut donner le temps à tout nouvel espace de trouver
son propre rythme, sa propre respiration avant de le saisir et de le figer sur
pellicules. Entre temps, le côté humain s’est greffé
sur l’installation de base. Ce chalet est la résultante d’un
rêve anachronique et d’un concept qui peut paraître audacieux.
C’est surtout et avant tout un exercice de style dans l’intemporalité
de l’espace à vivre."
NOUN juillet 2003
Texte: Rania Abou Merhi
Photos : Albert Saikali |
Photos :
1. Le fût central, composé d'une superposition de
bois en encorbellements formant les marches en porte-à-faux, se déroule
telle une spirale verticale infinie.
2. La piscine fait office de miroir d'eau qui conclut avec transparence
le niveau intérieur du jardin.
3. Un éventail ouvert sur un espace total de 5 niveaux successifs.
L'escalier monumental scuplte l'espace en le réchauffant par sa matière
: le bois de cèdre.
4. La salle de bains de maître du dernier niveau rallie confort et
esthétique. La pierre du pays a été mélangée
à d'anciens carreaux de terrazo -Art Nouveau -, datant du Beyrouth des
années 1920.
5. Espace délibérément ouvert pour plus de mixité
entre les fonctions. Le mobilier est un amalgame de styles et d'époques,
avec un accent colonial extrême-oriental.
6. Au rez-de-jardin la pièce à vivre s'ouvre vers la nature et la
piscine, tandis que le canapé encastré dans le niveau de pierre
appelle à la détente face à un feu de cheminée.
7. L'une des chambres d'amis, dont le lit à baldaquin a été
composé à partir de grandes vis de moulin -en bois de fer- en guise
de colonnades, et de balustrades anciennes en bois en guise de tête et de
bas de lit.
8. La salle à manger dont la table en bois massif est composée
de deux rectangles formant carré, est transformée en fonction des
besoins et du nombre des convives. Les siège "Windsor" contribuent
à créer une ambiance 'maison de campagne'.
9. Les couleurs sourdes de terre et de feu se font l'écho des briques
de la toile d'art contemporain qui tempère par la présence du bleu
l'ensemble de la palette.
10. Les balustres de la passerelle sont autant de poutres verticales faisant
écho à celles du plafond supérieur. En arrière plan,
l'escalier à double révolution qui dessert le niveau principal. |
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